Julien Tanguy et La Garde nationale, la Commune de Paris
La Garde nationale avait été créée par les électeurs de Paris en 1789 pour défendre l'ordre public et la propriété privée, en suppléant les troupes royales centrées autour de Versailles. Les officiers de cette garde bourgeoise étaient élus par les citoyens électeurs et les soldats par les habitants. L'illustre général La Fayette deviendra son premier commandant.
Les soldats devaient assumer l'achat de leur uniforme gardé au domicile alors que les armes demeuraient entreposées au siège du bataillon. Devenir garde national était un signe de valorisation sociale et morale, particulièrement dans le secteur géographique de son bataillon. Les règles et le statut des fonctions de la Garde changeront suivant l'évolution politique du pouvoir central soit pour limiter, soit pour renforcer son rôle et son influence. Elle restera néanmoins une force libérale et républicaine.
Julien Tanguy était membre du 61ème bataillon, celui de Montmartre, quand arriva la guerre de 1870. Après la victoire rapide des Prussiens, une partie de la Garde nationale refusa la capitulation et le versement d'une forte rançon. La ville se retrouva coupée en deux, entraînant la création du régime plus démocratique baptisé la Commune. Je n'arrivais pas à suivre l'opinion d'Emile Bernard pour qui le père Tanguy « dont le caractère n'était que droiture, timidité et générosité » était entré « subitement » dans les bandes de fédérés de la Commune. Cela m'apparaissait au contraire tout à fait cohérent, en accord avec ses convictions politiques, sans doute un peu influencé par ses nombreuses discussions avec les peintres beaux parleurs de «l'école»... Il fut l'un des tout premiers à s'engager pour la défense de Montmartre ! Son bataillon résista victorieusement à l'attaque des Versaillais le 18 mars, puis participa à la défense du pont d'Asnières le 9 avril 1871 où cette fois, la Garde nationale fut vaincue par les troupes impériales de Napoléon III avec la complicité des Prussiens. Elle subit des pertes considérables par fusillades et noyades. Julien Tanguy semble avoir survécu à cette hécatombe en se laissant entraîner par le fort courant de la Seine, ce qui suppose qu'il devait plus ou moins bien nager. Il paiera très cher les conséquences de cet engagement.
Toujours affecté au secteur de Montmartre, le garde Julien Tanguy sera arrêté dans les jours suivant la semaine sanglante. Comment peut-on imaginer – comme le suggère Emile Bernard – qu'après avoir survécu à la tuerie du pont d'Asnières il soit devenu quelques semaines plus tard un combattant d'opérette ? :« Il se promenait tranquillement sous les ombrages de la rue St Vincent, son fusil à la main et rêvant plutôt à la douceur de la nature qu'aux horreurs et aux imprévus de la guerre, il fut dérangé dans sa rêverie par une bande de Versaillais... Dans l'impossibilité où il était de se défendre et peut-être par dégoût de tirer sur son semblable, il jeta son fusil et s'enfuit dans une maison voisine. Mais il avait été vu et on le prit avec quelques autres. »
Il passera en conseil de guerre. Le critique d'art Théodore Duret témoignera: Heureusement pour lui que les officiers enquêteurs n'eurent pas l'idée de rechercher les tableaux qu'il tenait en vente pour les montrer au juge car dans ce cas il eût été certainement condamné et fusillé. Le valeureux Julien affrontera désormais la déchéance, l'humiliation, il assistera à la mort de nombreux camarades parqués comme lui plusieurs semaines au camp de Satory. Louise Michel, elle aussi membre du 61ème bataillon, a témoigné de la dureté de ces conditions de détention: « On ne peut rien voir de plus horrible que les nuits de Satory... les prisonniers portant sur l'épaule la pelle et la pioche pour faire leur fosse qu'il creusaient eux-mêmes, puis suivaient les soldats, les pelotons d'exécution... » Il sera finalement condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Avec ses 12000 compagnons de misère, il attendra longtemps le départ dans des cales de bateaux désaffectés au ponton de Brest où l'on souffrait de la saleté, de la faim, de la promiscuité, de toutes sortes de maladies et plus encore de la crainte d'exécution sommaire selon l'arbitraire des officiers. Le simple fait de s'approcher des bateaux pouvait valoir exécution immédiate.
Les conditions de sa libération sont controversées notamment au sujet du rôle joué par Félix Jobé-Duval. C'était un notable politique de gauche, franc-maçon, originaire de Rennes et peintre reconnu. Il ne participa pas aux batailles de l'autre côté de la Seine. Il fut successivement condamné puis vite amnistié pour son implication dans la Commune de Paris. Est-ce lui qui interviendra pour éviter la déportation de Julien Tanguy ? Ce doute témoigne néanmoins du respect dont le discret Julien commençait à jouir dans le monde des peintres, même dans celui des peintres officiels.
Interdit de retour chez lui, Julien Tanguy se réfugiera plusieurs mois chez un de ses frères, à Saint-Brieuc. Ce n'était pas le retour mythique et triomphal du pseudo-parisien au pays breton, mais celui d'un homme usé physiquement et moralement, d'un homme déchu de ses anciennes et dignes responsabilités au sein de la Garde nationale de Paris.
Il sera enfin autorisé à retrouver sa famille et son travail en 1873 après deux lourdes années d'épreuves humiliantes, bien avant le vote de l'amnistie générale des communards : elle ne sera obtenue que sept ans plus tard, le 9 avril 1880 après une longue lutte menée par Victor Hugo. Il avait maintenant 48 ans, tout à tenter pour retrouver le fil d'une vie normale, la plus proche possible de sa vie d'avant.
Sa vie d'avant? Mais qui, mis à part quelques anciens peintres de « l'école », accepterait de revenir se fournir chez lui? Pour ajouter aux difficultés, Renée perdra son poste de gardienne suite aux engagements de son mari.